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Les vagabondages méditerranéens du voilier Anak

Voyages en voilier en Méditerranée. Algérie à la voile.

2008 - 1b Algérie en voilier - Oran

La côte d'Algérie en voilier, seul et sans visa, est-ce possible ?  (suite de 1)

4 mai 2008 18h10 – ORAN – 35°43’.2N 0°37’.5W (54 milles de Beni-Saf)

Je quitte Beni-Saf, où j’ai finalement pu changer quelques dinars dans la rue…, donc accès à Internet et un pain rond tout frais. Le luxe !
On vient de m’apporter la météo de la capitainerie.
Quel service et gentillesse. Hier soir, le policier à l’entrée qui croit que je n’ai toujours de dinars, me proposait un pain et des pêcheurs voulaient m’inonder de poisson. J'avais l'air fin avec mon pain dans mon sac !

Cette fois, c’est l’aube, 6,30h, heure Algérienne, pour vous 7,30h.

Je vais d’abord rendre mon autorisation de sortie au policier à l’entrée du port. C’est vraiment cool. Poubelles ? Heu, je cherche, il n’y en a pas, pas étonnant que tout soit si sale… bon, je pose mon petit sac près d’autres détritus.

Petit déjeuner, hm, les confitures de ma fille Lisa. Et préparer un thermos de café.

Anak est déjà baptisé, la coque est pleine de grandes traînées noires provoquées par les pneus pourris placés le long des quais, l’eau polluée et pleine de gasoil fottant à la surface, etc. Pas grave, Anak en a vu d’autres et tout cela se nettoie. Cela me rappelle certains ports d’Amérique du Sud.
Anak a été construit par un ancien chantier de chalutiers de pêche du nord de l’Angleterre. Les Colvic Watson sont préparés à ce genre de situations et navigations. Anak surtout, conçu par son ancien propriétaire pour faire du grand voyage permanent et hors circuits marinas. Tout ce que j'aime.

Le port est déjà frémissant d’activité : le chantier juste à côté où de magnifiques bateaux de pêche en bois sont construits, l’arrivée des premiers chalutiers qui rentrent de leur pêche nocturne.

Reculer d’un mètre cinquante, puis pousser un peu l’avant avec la gaffe, repousser une sorte de tonneau métallique flottant dans l’eau, un petit coup d’hélice arrière, un autre avant, juste pour lancer Anak, surtout mettre au point mort avant que les cordes qui tiennent des barques, fûts, etc., ne se coincent dans l’hélice. Car plonger dans ce cloaque pour la décoincer… beurk...

Ca passe !

Juste en face il y a une casemate de militaires, ils sont tous en train de faire des photos avec leurs téléphones et me font des grands au revoirs. Il est vrai que pour eux un voilier est un spectacle rare. Et un cinglé tout seul sur sa barque, sans doute plus encore.

En route pour Oran.

C’est gai, je commence à me retrouver dans mon élément, il y a toujours des manques… mais il y a toute cette vie grouillante autour qui me change des marinas, et avec quel bonheur.

Je n’espère pas grand-chose, la météo est moche, ni vent, ni mer… et le ciel est bien plombé.

Le moteur tournera jusqu’à Oran ! Heureusement qu’il ne consomme pas bcp et que le gasoil est à – de 0,15€/L ici !!

À la sortie du port, je croise des dizaines de gros chalutiers fonçant vers le port, enfoncés par le poids des filets remplis.

Sur certains, il y a beaucoup de monde, et ça hurle à mon passage. Trop excitant ! Plus tard, un patron pêcheur m’a expliqué qu’il préférait, comme plusieurs de ses collègues, partager le produit de la pêche, même s’il y a un peu trop de monde à bord, plutôt que de laisser des jeunes inactifs à quai. Quelle leçon d’entraide ! Il est vrai aussi que le taux de chômage des jeunes est impressionnant en Algérie.

Dès la sortie du port, il y a les diverses taches habituelles : derniers rangements après avoir réglé le pilote automatique. Les pare-battages à remonter, enrouler les amarres, préparer le génois, grand-voile et voile d’artimon (pour rien, cette fois). Surtout laver à grands seaux d’eau le pont d’Anak, à Beni-Saf, il était devenu brun ! Il avait bruiné la nuit, et la pollution et le sable en suspension dans l’air avaient recouvert le bateau. Ça crisse sous les pieds et dans les poulies.

55 milles de côte, parfois sauvage, toujours aussi magnifique.

Des kilomètres de plages vierges au sable clair, parfois juste une petite maison de pêcheur. Surtout la longue plage de l’Oued el Halloûf et Rio Salado ou de Sassel. On se croirait à Boa Vista !

Je passe devant quelques beaux caps et leurs phares, le cap Figalo,

le cap Sigale

et le cap Lindlès, souvent surmontés de bâtiments de l’armée ou des gardes-côtes. ils m’appellent alors sur la VHF et me demandent si tout va bien à bord. J’évite les îles Habibas et l’île Plane.

 

Le temps est gris, pas facile de prendre des photos avec cette lumière.


A un moment, j’entends un drôle de bruit, ‘piep, piep !’

Wouaw, je ne suis plus tout seul, un petit oiseau va m’accompagner durant quelques miles pour souffler un peu, trop sympa le copain !

Si Lou avait été là et parlait déjà elle aurait dit : «  - ooazo, ze veu ! » D’ailleurs, rien que de me voir penser à cela, le copain s’envole se mettre à l’abri sur un échelon de mât !!

 


Les heures passent, bercées par le bruit du moteur. L’après-midi, le ciel devient à nouveau triste et gris. Je prends des photos. Combien la mer est apaisante et rassurante quand elle est calme et quel plaisir à se laisser bercer par les flots et malgré le ronronnement du moteur. Ce sont des moments si propices à la rêverie et à la réflexion. Le temps passe alors sans que l’on éprouve le moindre ennui ou impression de monotonie. Le temps s’est comme arrêté. Loin du bruit et de l’agitation, on retrouve l’essentiel.

Toutes les une à deux heures, je fais un point sur ma carte papier, ultime contrôle comparatif, et si jamais cette électronique ou l’ordinateur tombe en panne, j’ai toujours ma dernière position, heure et cap.

Fin d’après-midi, je vois Oran apparaître après le cap Ras Falcon et l’île aux Rats.

 

Cela paraît immense, vu de loin. À nouveau l’émotion m’envahit. Ma première grande ville algérienne avec Anak.

J’avertis de mon arrivée par VHF et je reçois immédiatement une réponse toujours aussi sympathique.
Le port est impressionnant et je croise à l’entrée un gros cargo qui sort, le haut du mât d’Anak atteint la hauteur de son ancre.
 

On m’envoie directement au poste de contrôle des gardes-côtes : papiers, le cachet d’Anak sur les papiers – ça fait sérieux – et l’on me demande d’aller ensuite tout au fond du port, au Club Nautique d’Oran. Le club : quelques vieux voiliers, bateaux à moteur et barques. Je me retrouve coincé entre un bateau et un mur, mais c’est tranquille et Anak est bien attaché. Puis me voila VIP à Oran !

Des tas de gens étaient venus me voir accoster. À peine le moteur arrêté, les hommes de la PAF sont à bord. Toujours aussi accueillants, ils vont demander au chef s’il est possible de me donner une autorisation de sortie le lendemain. Chouette… si ça marche ! Ils sont ravis de recevoir des photocopies toutes faites de mes papiers. C’était un bon conseil d’Yves Rousselin sur un forum de Sail the World. Un des rares navigateurs a croiser dans ces eaux. La photocopieuse du bord en avait craché un gros paquet ! Au loin, je vois un voilier amarré dans un autre coin du port. J’apprendrai plus tard en Tunisie que c’était justement Trillium, le voilier d’Yves Rousselin qui venait d’arriver à Oran, droit de France, avec des amis.

Je me présente au Club. On m’amène directement chez le président.

Ce monsieur, très sympathique m’invite à rejoindre des amis dans le bar du club, un endroit 'très' discret à l’étage. Je reçois une bière glacée, hm… et réponds aux nombreuses questions, pourquoi suis-je seul à bord, comment je me débrouille, etc. Ils animent une association écologique pour tenter d’assainir l’eau des ports algériens. Je leur souhaite bon courage, la tâche est immense ! Le président me propose de profiter le lendemain matin de l’ordinateur du club et son accès Internet. Cela n’est évidemment pas tombé dans l’oreille d’un sourd.

Voilà, retour sur Anak, repas du soir : saucisses sous plastique, car je n’ai rien pêché + pommes de terre sautées à la poêle. Je mourais de faim, la preuve.

Ce petit mot, un bon livre, et au lit, je suis mort de fatigue.

 

ORAN

Je suis devant mon ordinateur, pour raconter ma première journée oranaise, en écoutant le Stabat Mater de Vivaldi qui me donne toujours des frissons. Et cela va me changer de Madonna. On y revient un peu plus loin.

Si j’arrive à utiliser un accès Internet, ou à nouveau l’ordinateur du Club, je pourrai encore envoyer cela aujourd’hui :

Ce matin, après le petit déjeuner, et le squat de l’ordinateur du club, j’ai fait le ménage à bord.

À l’extérieur, Anak est complètement lavé et dessalé avec l’eau trouble d’un robinet proche, il y avait de quoi faire : la pollution de Beni-Saf, plus la pluie avec ses tonnes de sable.

On m’appelle !

Je me retrouve à bord du bateau à moteur d’un armateur de chalutier de pêche et l’on me présente un jeune constructeur de barques de pêche en polyester, très agréable, qui prie Allah pour que sa jeune entreprise tourne. Il y a aussi un officier expert maritime en uniforme et un autre expert civil. Ils étaient tous là pour faire des essais et homologuer le dernier modèle sorti du chantier du jeune entrepreneur. Tout ce beau monde se prend très au sérieux et je bavarde avec le jeune constructeur. Bref, j’ai vite compris, innover et créer n’est pas plus simple en Algérie que chez nous.

Après trois cafés, je les quitte et je pars m’occuper de mon permis.

À l’entrée du port je demande aux policiers où est le bureau de la PAF. Coups de fil et l’on me demande d’attendre, une voiture va venir me chercher. Toujours service VIP ici.

On bavarde et je regarde la ville d’Oran qui se profile au-dessus du port. En face de moi, en haut d’une colline qui surplombe la ville, je vois le grand monastère de Notre-dame de Santa Cruz.

Une voiture passe le contrôle, pile net devant moi. La PAF ?

Non ! un type sort : « Bonjour, comment allez-vous, on a mangé des sardines ensemble à Ghazaouet. »

C’est l’armateur du remorqueur dans lequel j’avais passé ma première soirée algérienne !!

Il me demande où je suis amarré dans le port, m’indique l’endroit où il sera toute la journée :

« Si vous avez un problème, vous venez nous voir. »

Sympa ! Je continue à attendre, je découvre que les policiers de l’entrée doivent manger du poisson tous les jours, ils n’arrêtent pas d’en recevoir des gens qui passent. Tous les papiers qu’ils manipulent doivent le sentir aussi. Je trouve cela génial, imaginez un policier ou gendarme en France à qui on offrirait une saucisse de Morteau, quelques sardines à Marseille, juste pour qu'il ne regarde pas dans la voiture ou oublie le Stop non respecté, on peut rêver, non ? (Me rappelle une frontière franco-luxembourgeoise, avant Schengen, où les douaniers mangeaient gratos des légumes espagnols, même assez pour ouvrir une épicerie !)

Mon problème actuel, c’est mon permis. On vient enfin me chercher !

À la PAF, je retrouve un dossier avec passeport, papiers d’Anak, etc. Après trente minutes, il est convenu que je vais d’abord avec un policier à la banque pour changer des dinars (je suis toujours censé ne pas en avoir). J’adore, me balader avec un policier à mes côtés. :-(

Ceci fait, me revoilà dans leurs bureaux.

« – Si tu veux, cet après-midi, on t’emmène en ville pour faire des achats de nourriture. Mais on ne te laisse pas aller seul, Oran, c’est trois millions d’habitants, 40% de chômage, et c’est pour ta sécurité. Tu n'as pas de visa, donc on est responsables de toi.

– Merci, merci. 

Pff… moi qui ai sillonné l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique du Sud en stop, en voiture ou en bateau, ma sécurité… Bon, de toute façon, on ne discute pas.

Je retourne sur Anak.

« – Bon appétit !

– Heu, tu y vas comment ? 

– À pied !

– C’est loin, bon courage. »

Deux minutes plus tard :

« Hé, mais si tu es à pied, tu sors du port ? (Zut, ils y ont pensé, moi qui marchais pourtant vite avant que…) Attends, on te conduit ! » (Deux fois zut).

On me ramène dans la voiture personnelle du policier qui sera mon ‘ange gardien’ et qui n’a pas une tête à se laisser soudoyer.

Le policier a une belle voiture, met le contact, la radio passe une sorte de rock/rai arabe assez chouette.
Pff, il veut me faire plaisir, arrête son poste et change de CD.

'MADONNA', c’est ma tête qui lui fait croire que j’aime cela ?

Voilà pourquoi le Stabat Mater en arrivant sur Anak.

Je vais voir comment cela se passe cet après-midi. Si effectivement j’ai un type en uniforme à côté de moi, l’Internet : difficile, j’irai demander au président si je peux encore squatter son ordinateur ce soir…

Je me limiterai alors à du pain et quelques légumes.

Et si c’est ainsi, demain matin tôt : gasoil et hop, en route pour Mostaganem. Il paraît que c’est une belle ville, et je pourrai peut-être sortir plus facilement là-bas.

Et si pas Internet, no stress, pas de nvlles, bonnes nouvelles… je finirai bien par en retrouver un dans les jours qui suivent !

Finalement tout est bien qui finit bien, et des angoisses pour rien. J’irai en ville tout l’après-midi en taxi, et seul. Le chauffeur a simplement promis de me ramener devant la PAF en soirée. Il était bien sympathique et la course de plusieurs heures extrêmement bon marché. Que de kilomètre parcourus et c’était un guide parfait. J’ai visité le centre, la Kasbah, le Dôme, le village nègre ou Haï Sidi El Bachir, le quartier espagnol qui commence à être restauré, l’université, les parcs, admiré la vue sur la baie.
Pendant que j’achetais des légumes, lui courait chercher mon pain.  

En rue, la plupart des filles n’ont rien sur les cheveux. Plus âgées, un foulard, parfois des vieilles mémés encore toutes cachées. On voit même des filles en jupe !

Pour combien de temps encore ?

Dans la rue, tout le monde dit bonjour.

Contrastes : ils demandent plus facilement qu’au Maroc d’où tu viens, t’offrent un kawa, et en même temps, ils rient bcp moins que les Marocains, ils ont tous l’air soucieux, bref, on sent que la vie n’est pas facile pour eux.


Il n’y a pas cette débauche de petits grills en rue comme au Maroc, moins de restaurants. Beaucoup de cafés, mais moins de monde aux terrasses. Les bâtiments sont souvent dans un état d’abandon, faute de moyens pour les entretenir. Est-ce la guerre civile qui laisse des traces ? En discutant, les gens du port confirment ou préfèrent éviter le sujet.

Mais, comme je l’ai déjà dit, partout une gentillesse et un plaisir évident ainsi que l’étonnement de me voir arriver chez eux en bateau, seul. Quant aux autorités, si elles sont très tatillonnes et submergées par les formulaires à remplir, elles restent incroyablement aimables.

Après avoir payé mon taxi en fin de journée devant la PAF où il n’y avait plus personne, je suis rentré, à pied, par le bas de la ville, donc à l’extérieur du port, pour retrouver l’entrée du bassin où se trouve Anak. Ce qui m’a valu un café en terrasse avec un vieil algérien bien sympa ! Si la PAF était passée devant le bistrot à ce moment-là !!!

Vu en traversant la partie basse de la ville : des immenses étals de poisson en rue, des poissons énormes et plein d’espadons.

Pff, le rêve : attraper un espadon à la traîne avec Anak.

Bon, je rentre à bord pour faire l’inventaire et compter combien de boîtes de thon il me reste. Bon appétit.

 

Prochain article : Mostaganem !

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